La Syrie avant la guerre, Liban et Jordanie

Il y a des endroits comme celui-là "au milieu de nulle part". Du sable, un soleil ardent, une végétation rare et ce cabanon : Bagdad-Café. L'Irak n'est pas loin, on est toutefois quelque part en Syrie. Pas grand chose, quelques hommes de passage. Et au milieu de ce paysage quasi désertique, les hommes ont édifié, à côté de ce cabanon où ils consomment quelques nourritures terrestres, un lieu sacré, où se nourrit leur foi : une mosquée.
Paradoxalement c’est le conflit ouvert au Liban qui m’a permis de faire un voyage au Moyen Orient dans des conditions privilégiées. Je dois dire que les voyages de groupes en autocar ne sont guère ma tasse de thé. Ma femme ayant prévu de rendre visite à sa famille en Extrême Orient et d’y fêter le nouvel an chinois, je réserve un circuit de deux semaines intitulé « Magies du proche Orient ». Trois semaines avant le départ, on m’annonce que le voyage est annulé faute de participants. Quotidiennement les médias rendent compte d’une situation très tendue au Liban, de coups de feu au centre de Beyrouth. Il est compréhensible que les touristes aient envie d’aller voir ailleurs. Seulement le voyagiste a bien précisé dans son catalogue « départ garanti » et moi, je veux aller au proche Orient.

Quand j’arrive à Damas, mon guide m’attend à l’aéroport en costume-cravate. Il croit peut-être accueillir un éminent voyageur : je suis en effet seul et accomplirai tout le circuit en voiture avec trois guides successifs et un chauffeur. C’est d’abord Bachar qui me fait découvrir la Syrie. Il est druse, parle très bien français, il est toujours ponctuel, précis dans ses commentaires, intéressant mais un peu froid. Même au terme du séjour, mes questions sur les rapports entre la Syrie et le Liban ou sur la situation politique en Syrie, l’embarrasseront. Dans un premier temps je ne passe qu’une journée avec lui car dès le lendemain il me laisse à la frontière libano-syrienne.

Au Liban j’ai une guide jeune et charmante. Elle s’appelle Marcelle, est catholique maronite. Son français est élégant et choisi. Elle est cultivée et parle très librement. A Baalbek dans la plaine de la Bekaa, les partisans du Hezbollah pullulent. A proximité de l’acropole, le plus vaste ensemble architectural romain existant au monde, ils sont nombreux à vendre des T-shirts représentant un bras tendu armé d’une mitraillette et signés du « Parti de Dieu ».
- « Il faut les comprendre », me dit ma guide, « Ils n’ont rien ».
Elle est ouverte, elle me paraît compréhensive et très tolérante. C’est une qualité sans doute indispensable dans un pays comme le Liban où doivent cohabiter des religions différentes dans un contexte parfois très conflictuel. Marcelle n’a qu’un petit défaut. Elle a un téléphone portable qui sonne sans arrêt.
- « C’est mon fiancé » me chuchote-t-elle.
Que faire sinon laisser parler l’amour… ! A Ksara nous dégustons un excellent vin et Marcelle me demande :
- « Vous voulez vraiment voir Beyrouth ? »
- « Si c’est possible, oui, bien sûr »
A l’entrée de la ville Marcelle se renseigne. Des combats ont lieu au centre. Il est beaucoup trop dangereux de s’aventurer plus loin. Je n’aurai donc vu la capitale libanaise que depuis les hauteurs. Nous traversons la banlieue et contournons le centre en direction de Jounieh à quelques kilomètres au nord où nous trouvons un hôtel sur la Méditerranée. A la nuit tombée, je vais me promener sur la plage. Les rochers y sont curieusement tachés de rouge. On dirait du sang. Je pense à une scène d’abattoir. Je suis dans un pays où quotidiennement des hommes meurent de la violence guerrière. Le lendemain, la mer est bien bleue et le soleil éclaire le site archéologique de Byblos. Je prends congé de Marcelle et retrouve Bachar à la frontière syrienne.

Nous visitons le Krak des Chevaliers, la forteresse croisée la mieux conservée du Moyen-Orient puis faisons route vers Hama avec ses norias (roues à eau géantes) sur les rives de l’Oronte.

Le jour suivant je découvre d’abord Apamée, l’une des plus grandes villes de l’Orient hellénistique. Le musée abrite de magnifiques mosaïques des 5ème et 6ème siècles. A la sortie du musée, deux Syriens m’invitent à boire un thé succulent. Puis c’est Alep qui se targue d’être une des plus vieilles villes du monde. Le centre de la ville a été classé au patrimoine mondial de l'humanité par l'Unesco en 1986. Au pied de la citadelle du 12ème siècle, la médina comble le visiteur par ses couleurs et ses senteurs. Depuis la plus haute antiquité est fabriqué à Alep un savon, ancêtre du savon de Marseille, dont le secret de fabrication réside dans l’utilisation conjointe d’huile d’olive et d’huile de baies de laurier. Mais à la Grande Mosquée les ablutions se font à l’eau claire des fontaines.
Alep compte plus d’un million six cents mille habitants. Ici plus qu’ailleurs, dans le dédale grouillant de cet important centre commercial aux couleurs chatoyantes, je suis frappé de rencontrer tant de silhouettes pareilles à des ombres, toutes de noir vêtue. Elles sont partout, souvent en groupes. Deux orifices dans le voile laissent parfois apercevoir leurs yeux. Plutôt rarement elles croisent le regard.
Parfois leurs yeux sourient.
Contrairement aux apparences, ces femmes montrent le plus grand intérêt pour la mode vestimentaire et ne manquent pas de s’arrêter longuement devant les vitrines. Comme me le confiera plus tard mon guide jordanien musulman amoureux de toutes les femmes, elles savent sous leurs longs manteaux être très coquettes.

Le lendemain nous partons visiter Saint Siméon, sanctuaire constitué de quatre basiliques consacré à Saint Siméon le stylite.

Lors de l’étape suivante nous empruntons la vallée de l’Euphrate. Dans mon enfance le simple nom de ce fleuve associé à celui du Tigre me faisait rêver. J’y associais d’autres noms : Mésopotamie, Nabuchodonosor, Babylone et ses légendaires jardins suspendus dont je ne savais pas au juste ce qu’ils pouvaient bien être... En cours de route nous visitons la citadelle Jaabar dressée au bord des eaux du lac Al Assad créé sur l’Euphrate par la construction du barrage de Tabqa. Le paysage vert a laissé peu à peu place à la steppe. Nous arrivons au site archéologique de Rassafa, l’ancienne Sergiopolis. L’enceinte de la ville est encore entière. Ces ruines au milieu du sable ont quelque chose de grandiose. La cathédrale à trois nefs jouxte la mosquée construite ultérieurement par les Omeyyades. Je suis seul sur ce site de sable désertique, déserté des hommes, habité du souvenir de Saint Serge, officier syrien martyrisé en 305 sous le règne de Dioclétien pour avoir refusé de renier le Christ. Au milieu de ces ruines majestueuses cette citation d’Albert Einstein me vient à l’esprit : « La distinction entre le passé, le présent et le futur n’est qu’une illusion, aussi tenace soit-elle ».
Notre route nous conduit ensuite vers un des sites les plus spectaculaires de Syrie, l’ancienne cité de la reine de Zénobie, située en plein désert dans une oasis de palmiers : Palmyre. Les vestiges imposants de ce vaste site archéologique, la Grand rue à colonnades, l’arc de triomphe, les bains de Dioclétien, l’agora, l’imposant temple hellénistique de Ba’al donnent une idée de la prospérité de cette cité disparue, située notamment sur la route reliant Bassorah dans le golfe persique à la Méditerranée, permettant le commerce des marchandises entre l’Asie et l’Europe romaine.
En bordure de la cité, dans le beige ocré du désert, se dressent les surprenantes tours d’une vaste nécropole. Les habitants de Palmyre construisirent une série de grands monuments funéraires qui ornent la Vallée des tombes, des caveaux en tour, signes de la richesse des grandes familles de la ville.
A 105 km de Palmyre et 135 km de Damas nous faisons halte au « Bagdad café 66 ». Un café et une petite mosquée en plein désert, encore un lieu magique.
Damas nous attend. Parmi les 125 monuments des différentes périodes de son histoire, la Grande Mosquée des Omeyyades du 8ème siècle est sans nul doute le plus féérique. Le Palais Azem dont l’architecture et la décoration des pièces évoquent un palais des mille et une nuits, le Musée National, le vieux Bazar…, il y a tant de raisons d’aimer Damas !
Nous allons vers le sud. A 120 km de Damas se trouve Bosra et son célèbre théâtre de 15000 places. Puis il faut quitter la Syrie et Bachar. A la frontière m’attend Bissam Omar, mon guide jordanien, aussi dynamique que sympathique et très occupé… ailleurs ! Nous aurons tout de même quelques échanges intéressants.
La ville antique de Gérasa à proximité immédiate du village contemporain de Jerash, donne une idée du rayonnement de l’empire romain jusqu’à ses frontières orientales. Le soir nous filons vers Amman dont j’ai un bref aperçu. Le guide ne semble pas très rassuré à l’idée de me laisser déambuler en ville. J’ai l’impression permanente de me déplacer avec un garde du corps.
Le lendemain matin nous démarrons tôt en direction de Petra en empruntant la route des Rois. Nous passons par Madaba, site de quatorze églises byzantines aux abondantes et magnifiques mosaïques. Nous continuons en direction du Mont Nébo, site présumé de la tombe de Moïse. C’est là qu’il aurait eu révélation de la Terre Promise. Du haut de ses 840 mètres je découvre la Mer Morte et la dépression du Jourdain, je devine dans le lointain Jéricho, Jérusalem et Bethléem… Le lieu est très émouvant. Croyant, athée ou agnostique, aucun voyageur ne peut ici rester indifférent.
Notre route nous conduit ensuite à Kerak où se dresse une forteresse croisée. Le soir nous arrivons à Petra.
Au petit matin nous partons à la découverte de la capitale des Nabatéens entièrement sculptée dans les falaises de grès rose. Tout visiteur ne peut - quoi qu’il ait pu lire ou voir à ce sujet - qu’être béat d’admiration face à la beauté de ce site étonnant. Pour pénétrer dans la cité il faut emprunter le Siq, une sorte de boyau étroit long de plus d’un kilomètre, délimité de part et d’autre par des falaises abruptes. Cet accès longtemps caché a protégé pendant des siècles la ville des intrus. Au bout de cet étroit défilé, le visiteur découvre le célèbre Khazneh. Ce temple surnommé « le trésor » est en quelque sorte l’emblème de Pétra. Mais ce sont quelques 800 monuments et tombeaux qui parsèment le site sur 100 km2.
Dernière étape : une incursion en véhicule tout terrain dans le désert du Wadi Rum. Somptueux paysage scupté par l’eau et le vent. Lors d’un arrêt j’observe en plein désert un Bédouin en prière. T. E. Lawrence, dit Lawrence d’Arabie, a dit de ce lieu qu’il était « marqué par la présence du divin ». Je ne saurais mieux dire.